"j'ai beau considérer les hommes d'un bon ou d'un mauvais œil, tous et chacun en particulier, je ne les vois jamais appliqués qu'à une tâche : à faire ce qui est profitable à la conservation de l'espèce. Et cela en vérité non par quelque sentiment d'amour pour cette espèce, mais simplement parce que rien n'est aussi invétéré, puissant, inexorable, irréductible que cet instinct - parce que cet instinct est absolument l'essence de l'espèce grégaire que nous sommes. Si rapidement qu'on se mette, avec l'habituelle myopie, à classer ses semblables, selon l'usage, en hommes utiles et nuisibles, bons et mauvais, tout compte fait, après mûre réflexion sur l'ensemble de l'opération, on en arrive à se méfier de ce genre de d'épuration et de cloisonnement, et enfin on y renonce. L'homme, même le plus nuisible, est peut-être encore le plus utile sous le rapport de la conservation de l'espèce, car il entretient en lui-même ou par son influence, chez autrui, des impulsions sans lesquelles l'humanité se serait relâchée et aurait pourri depuis longtemps."
La gaya scienza, Nietzsche, 1882